Giò s’appelle Saul en fait. Mais depuis qu’un Serpentard a découvert qu’il est non seulement italien, mais qu’en plus son père n’est que le simple gérant d’un bar, Saul est devenu le Rital de service. Eh matez-le ce gars qui se trimballe avec des fringues chelou pendant son temps libre. Un vrai pizzaiolo. Non sans blague. Au début Saul ça l’emmerdait un peu tout ça, mais maintenant il a fini par en faire abstraction. Et il s’amuse même à balancer des accents italiens au milieu de ses phrases. C’est pas un gars très compliqué Gigi, il aime bien rigoler.
Saul est un maniaque des casquettes, des piercing, des tatouages et des lunettes de soleil. Il adore s’habiller avec des couleurs qui flashent et des grosses pompes. C’est un peu le seul héritage qu’il garde de son adolescence simple de la street. Parce que oui, si Saul paraît assez réservé et paumé à Poudlard, avant c’était un vrai chieur qui passait son temps à jongler entre son taf de livreur de pizza, le lycée et les potos. Faut croire que Poudlard ça l’a un peu calmé le kiddo. Un peu.
Giò est un vrai jukebox. Il passe son temps à fredonner de chansons dans les couloirs, pendant les entraînements, et même en cours. C’est que y’a mille sons qui se mélangent dans sa tête, et le gars a toujours besoin de les évacuer. Ca peut passer du chant de Noël au hip hop old school. Quand il est en forme Saul s’essaie même au beatbox, mais en général à ce stade là il se récolte d’avantage de « Ta gueule » que d’encouragements.
Le garçon est né dans le Sud de l’Angleterre, à Plymouth, près de la mer. Et faut dire que ça lui manque pas mal tout ça. C’est sans doute pour cette raison qu’il s’est mis à la natation cette année. Ca lui rappelle un peu les vagues et les mouettes. Enfin. Avec un peu d’imagination.
Mais faut dire que Saul est un vrai sportif. C’est pas pour rien qu’il porte le blason le plus classieux du château. Quand il a débarqué à Poudlard on l’a balancé chez les Gryffondor en jugeant qu’il avait des aptitudes sportives prometteuses. C’est vrai qu’il a une bonne rapidité au basket, et un bon rythme dans l’eau. Saul aime la compétition et l’adrénaline. C’est un peu sa nouvelle manière de frôler avec les limites. C’est un gars qui aime se dépasser. Mais pourtant il n’a pas vraiment d’ambition et si le coach tente de le convaincre qu’il faut qu’il se batte, Monty n’en reste pas pour le moins convaincu que le sport est un kiff de jeunesse. D’ici deux trois ans il se tapera sûrement un taff dans le bar du padre. Le sport, c’est cool mais c’est temporaire.
C’est d’autant plus temporaire que Saul a découvert depuis peu qu’il a une insuffisance cardiaque. Et si à la base ça le faisait bien marrer genre « n’importe quoi mon gars, c’est que des grands mots de toubib ça », depuis qu’il a du mal à tenir tous les entraînements Monty commence un peu à flipper. Mais c’est pas son genre d’aller raconter sa vie au premier venu, alors pour l’instant Saul se contente de continuer comme si de rien n’était. Si ça se trouve ça va passer, eh. Non sans blague, il n’y croît pas trop aux limites. Il a du mal à concevoir que d’un coup son cœur se mette à foutre la merde. Alors il a d’autant plus envie de se défoncer le garçon. Faut bien montrer à son corps qui est le patron.
Saul est tellement déphasé qu’il est incapable de prendre une décision logique. Malgré ses problèmes de santé il continue à fumer comme un pompier. Les vices malheureusement ça se perd difficilement. Et Monty en a plein des vices, mais depuis qu’il a débarqué à Poudlard il en a un nouveau : le jeu. Le garçon est devenu un accro au poker, aux paris, mais surtout aux vieux tickets de grattage de beaufs. Il est tout le temps bloqué sur son iPhone à vérifier les tirages du lotto ou les résultats de tel match de foot. Du coup c’est pas rare de le voir au bar pas loin de Poudlard, en train de boire une pinte au comptoir, un journal sportif devant lui, et un vieux pépé lui faisant la conversation à côté.
Parce que Giò a quand même un grand cœur. Un peu malade, mais toujours prêt à écouter les autres. Il peut passer de psychologue à conseiller conjugal en un rien de temps. Bon, il a quand même 17 ans donc ses phrases sont souvent entrecoupées de gros mots qui viennent salir sa bouille d’ange. Mais Saul c’est sans doute l’une des meilleures oreilles que vous pouvez trouver. Il a une objectivité sans pair quand il s’agit d’aider les autres, mais par contre il est incapable de s’occuper de lui-même sans se foutre dans la merde.

Donc oui en vrac le Rital est un peu trop grand, un peu névrosé, pas trop prise de tête, accro aux clopes roulées et dingue de bière. Il se ronge les ongles et se passe toujours une main dans les cheveux. Difficile de le voir sans un bonnet sur la tête et sans mille trucs dans les poches. Toujours son iPhone et un briquet, et puis des babioles, des morceaux de papiers, un stylo et une fin de paquet de chewing-gum menthe cassis. Saul aime bien tout ce qui est manuel, la mécanique, les ordis. Il aime bien les sciences aussi, la chimie, la bio. Mais il n’a jamais envisagé sérieusement d’approfondir cet intérêt. C’est un mec curieux mais qui s’est convaincu que t’façon dans la vie tout roule à la chance. Et la chance, ça tourne. Lui, il sait pas trop ou il se place pour l’instant. Sans doute en ailier sur son terrain lustré de basket. D’ailleurs Giò a toujours les coudes et genoux défoncés, parce qu’il bouge trop sur le terrain et se fait souvent balancer par terre. A croire que quand il est là le basket vire au rugby. Il aime faire des grimaces et se foutre de la gueule des autres. Il considère qu’il a beaucoup d’humour mais c’est sans doute un humour qui ne le fait rire que lui. Enfin Monty reste un gars plutôt apprécié par ses camarades, une bonne tête, un peu dans son monde mais toujours prêt à faire péter les bouteilles.

☆ histoire : La première fois que les gars m’ont appelé de traitre, j’ai cru que j’allais péter quelque chose. J’me suis énervé, j’ai haussé la voix, mais de toute façon ça n’a servi à rien. J’étais que le gars qui partait à Poudlard. J’les laissais en plan, j’laissais en plan notre petite vie, notre lycée de bouseux mais notre lycée à nous. Notre terrain. Comme ça en deux minutes je me suis fait jarter. J’ai pris mon vélo et j’me suis cassé. Je sais pas si vous voyez l’humiliation que ça peut être. Moi en tout cas je me suis senti une sous-merde, pas parce que j’me cassais, mais parce que j’avais traîné qu’avec des enfoirés jusqu’ici. Des enfoirés pas capables de comprendre que de toute façon, j’avais pas grandi dans leur ville minable, j’étais arrivé en cours de route dans leur lycée de ratés et j’aurais jamais vraiment fait partie de leur monde. Moi je suis né à Plymouth. Dans la Sud. Face à la mer. J’ai grandi en sentant l’odeur de l’iode marin, en skatant tous les soirs près du port. J’me suis trimballé sur mon vélo toute mon enfance sur les routes pavées de la ville. Le soir je rentrais au bar et mon père me servait un lait chaud avant que j’aille me foutre sous mes couettes. J’aime cette ville. Même s’il s’y passe rien, même si tous les jeunes se cassent – comme moi – et même si les trois quarts du temps il y fait un temps de chien. J’aime entendre mon père râler et dire qu’on devrait retourner en Italie, parce qu’au moins là-bas il fait beau. Peut-être qu’on sera toujours en galère, mais au moins on sera en galère au soleil.
C’est vrai. J’aime ma famille et j’aime la petite vie qu’on mène à la maison. On est des gens simples mais on se serre les coudes, on se soutient et tout se passe. Ouais, tout se passe. J’en ai même pas trop voulu à mes parents quand ils ont décidé de m’envoyer chez ma tante pour finir mon lycée. Enfin si, s’il faut être sincère j’étais là aussi prêt à tout exploser. J’ai jamais compris qu’ils m’éloignent comme ça. Paraît qu’on a eu des soucis d’argent, un peu plus que d’habitude. Paraît que le climat était pas bon à la maison. Paraît que je commençais un peu trop à m’égarer. Avec mes clopes et mes bières en cachette. J’étais trop jeune pour aller au pub, pourtant un pote de papa m’y avait vu. Plus de fausse carte d’identité, plus de baratinage. La fiesta était finie.
Du coup j’ai atterri là-haut dans le nord. J’étais frustré mais quand on est un Montague on se reprend. On se laisse pas faire. On va la tête haute au lycée le matin de la rentrée, et boum le soir on sort boire sa première bière en cachette avec ses nouveaux potes. C’est eux, j’les considérais ma bande. La team. On formait un tout. En quelques jours on s’était déjà trouvés, on se respectait, on s’amusait et on régnait déjà sur ce qu’on considérait notre terrain de jeu. En un an on a construit une unité. J’pensais qu’elle était inébranlable. Il a suffit d’une pound et tout le mur a flanché. Le mur m’est tombé dessus.

Je vais te raconter un truc marrant maintenant. Mon père a toujours joué. Il joue une fois par semaine ses quelques numéros fétiches. Et puis le vendredi soir c’est le seul moment où il lève la tête vers la télé au fond de la salle. Depuis que je suis né je me le représente comme ça mon padre. En train de serrer son poing avec une petite moue boudeuse alors qu’une fois de plus il vient de perdre son argent inutilement au lotto. Il perd, il perd, il perd, mais il n’arrête pas de jouer. Je crois que c’est un truc d’italiens. Paraît que mes grands-parents étaient pareils. Moi j’vais sans doute devenir pareil.
Bref, donc c’était genre l’été entre mon 10th et 11th grade. Je suis sur mon lit je me roule une clope prêt à sortir rejoindre la team. Et là mon portable vibre. C’est mon padre. Mon padre m’appelle jamais. D’habitude c’est mon frère ou ma madre qui m’appellent. Mais là papa est trop content, ça s’entend à sa voix. Il me dit « Eh Saul, figlio mio, j’ai une grande nouvelle » en italien, parce que papa me parle toujours en italien quand il est ému. Et là il me dit qu’on a gagné. Je comprends rien moi. On a gagné ? Oui, me répond papa. Il a gagné. Je comprends. Je comprends, je crie, je saute sur mon lit.

Le soir même j’suis à Plymouth. Je crois que gagner au lotto c’est une des plus belles réussites de mon père. Pas parce que c’est un gars qui pense qu’à ça, à la thune. Non, j’pense simplement qu’il avait besoin de se prouver que parfois la chance tourne. Que ce coup ci c’était à nous d’être aidés. Qu’il y a de la justice quelque part, ou un Dieu là-haut qui s’est dit allez, cette fois-ci c’est le tour des Montague. Le tour des Montague qui ont du angliciser leur nom pour s’intégrer en Angleterre, le tour des Montague qui ont du se taper des clients de merde depuis cinquante ans mais qui bronchent pas, le tour des Montague qui payent leurs impôts, qui galèrent un peu, mais qui restent des gens respectables.
Le tour des Montague qui envoient leurs gosses à Poudlard. Parce que pour une fois ils pensent qu’ils peuvent s’offrir et leur offrir quelque chose de mieux. Moi j’admire mon père. Et c’est peut-être pour ça que j’ai pas supporté qu’on m’appelle de traître. Depuis quand je suis un traître ? Depuis que mon père sacrifie l’argent avec lequel il pourrait s’offrir son retour à la patrie, pour que mon frère et moi on s’en sorte un peu mieux ? J’suis pas un traître. J’essaie juste d’être un peu à la hauteur. Un peu. C’est tout ce que je demande.


☆ admission : C’qui a garanti mon entrée à Poudlard ? La combinaison parfaite de mon père qui empoche un pactole au lotto et de l’héritage d’une grande-tante en Italie. Boum d’un coup voilà papa qui paie les frais de scolarité après avoir décidé que p’t’être qu’avec ces blasons sur la chemise on deviendra des chic types. P’t’être.
Quand j’suis arrivée j’avais pas des milliers de facteurs sur lesquels miser pour intégrer une de ces maisons. Pas assez bosseur pour Serdaigle, pas de talent artistique pour les Poufsouffle, pas de rolex au poignet pour rentrer dans la secte… Y’a qu’un truc ou je sais que je suis bon. Le sport. J’ai toujours aimé ça moi, me dépenser, me défoncer à l’adrénaline. Faut croire que ça a tapé dans l’œil du coach parce que boum le soir de mon arrivée j’portais le blason rouge. Paraît qu’j’ai du talent. Ca j’en sais trop rien. Je sais que j’aime courir sur le terrain de basket et que j’aime plonger dans la piscine. Je sais que j’aime les émotions qui me parcourent le corps quand on doit affronter une autre équipe. Je sais que j’aime la compétition. Que j’aime l’ambiance bon enfant qu’il y a dans ma maison. Je l’ai tout de suite bien aimée. Même si je me sentirai jamais un vrai élève de Poudlard avec ma bourse payée par la chance. Je serai toujours le gars qui a débarqué comme une fleur en 11th grade. On sait pas trop pourquoi. On sait pas trop comment. Mais au moins j’ai la certitude d’appartenir à Gryffondor, et ça c’est déjà terriblement cool.