☆ histoire : « Je pense que… l’amour, c’est profondément narcissique : c’est donner quelque chose qu’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. J'aurai aimé avoir le pouvoir de voler l'amour des autres pour le donner à ceux qui n'en ont pas. Même s'il n'en veulent pas. Je suis Casey. Casey Capper et j'ai des blessures. Mais les blessures créent des monstres, ma mère me l'a dit. »

ACHROMATOPSIA. Le bleu pour le ciel. Le vert pour la verdure. Le jaune pour le soleil. Le marron pour la maison. Le noir pour les oiseaux… Mais il n’arrivait pas à retenir toutes ces instructions. Même si les étiquettes étaient présentes sur les crayons de couleur. Des étiquettes, toujours les étiquettes, pour ne pas passer pour un fou avec sa vision dénuée de couleurs. Le gamin retenait pourtant très mal les mots qui n’avaient aucun sens pour lui. Il avait une forme de daltonisme, caractérisée par une absence totale de couleurs. Une anomalie pour certains. Comme une erreur de la nature. Et puis, il avait l’impression d’être incompris parce que même sa sœur jumelle n’avait pas cette anomalie. Peut-être parce qu’elle était l’aînée, la mieux formée, en meilleure santé. Et lui, le jumeau avec des complications. Et il en eut, des complications. Toute sa vie. Surtout quand il fallait mémoriser les mots et les réutiliser correctement sur une feuille vierge. Mais un jour, sa concentration diminuant au fur et à mesure à cause de la fatigue, il mélangea toutes les couleurs, sans aucune recherche d’harmonie, mettant du vert à la place du jaune. Et l’enseignante, fatiguée d'avoir répété une centaine de fois les mêmes instructions, exténuée par les nombreux élèves qu'elle avait à sa charge… elle se défoula sur Casey quand il lui rendit ses travaux manuels complètement bousillés. L'enseignante savait, pourtant, ce qu'il avait. Mais elle l'humilia devant les autres gosses, devant sa sœur, leur balançant le véritable problème de l’achromate : son foutu handicap des couleurs, le faisant passer pour un attardé mental. C'était une erreur non-professionnelle de l’enseignante, qui amorça les rires des autres gosses. Ils se gaussaient tous de lui, même si Bonnie tentait de les éloigner le plus possible de son frère jumeau. Mais Casey ne se sentait pas abattu ni triste, il se sentait juste mis à nu. Découvert et plongé dans l’insécurité que provoquaient les rires des autres. Parce qu’un enfant, c’est cruel quand il ne comprend pas qu’il faut accepter la différence. Et Casey en fit les frais au moins une fois dans sa vie. Et il se mit à haïr les Autres. Hormis Bonnie.

Bonnie arrivait à le comprendre. Du moins, il en était persuadé. Il veillait sur elle ; elle l’aidait avec l’apprentissage des couleurs, l’aidant même à différencier les nuances de gris. Elle occupait un meilleur rôle que leur mère. Parce que Maman n’était préoccupée que d’une chose : Casey. Parce qu’elle n’éprouvait aucune once d’amour pour sa fille-aînée, portée durant neuf mois. Comme si ces neuf mois n’avaient jamais compté pour Scarlett Capper. Elle semblait désagréable avec sa fille et aimante avec Casey. Son comportement était différent avec chacun de ses enfants, comme si Bonnie lui était étrangère. Et ce constat justifiait-il l’état d’esprit de Casey ? Et surtout : je déteste Maman. Pourquoi ? Parce que Scarlett n’est pas humaine, maman est un monstre. Scarlett a éjecté deux enfants de son utérus mais n’en a aimé et n’aimera qu’un seul, dénigrant l’autre. Parce que Scarlett ne mérite pas d’être mère. Parce que Maman est inutile, foncièrement fade. Maman ne brille pas comme Bonnie, Maman n’a pas cette flamme dans les yeux. Elle n’est qu’une génitrice après tout. Inutile, inutile, inutile. Et il transféra toute sa haine dans le personnage monstrueux qu’incarnait sa mère dans sa vie.

Et puis, le divorce. Annonce fatale de deux séparations. Celle des parents qui semblaient très pressés d’en finir pour passer à autre chose. Et celle des jumeaux. Parce que Scarlett préférait se débarrasser de Bonnie plutôt que de dépenser des sous pour l’élever. Elle dépensa des sous sur Casey, en engageant une gouvernante. Mais la séparation des jumeaux… c’était un véritable déchirement pour Casey. Il en a pleuré, ce jour-là. Un enfant ayant eu un double dès sa naissance, forcé de s’en séparer. Il se mit à haïr sa mère avec véhémence. Plus jeune, il se retenait à se montrer agressif envers elle. Mais quand Christopher et Bonnie quittèrent la maisonnée, Casey changea du tout au tout. Il devint violent, désobéissant, irrespectueux. Ses petits poings s’écrasaient contre les tableaux, cassaient des vases, arrachaient les rideaux. Il détériora sa maison, devant les yeux ébahis de sa mère, impuissante, n’ayant aucune forme d’autorité. Inutile. Et puis Scarlett l’envoya consulter. Il n’avait même pas encore neuf ans, à l’époque, qu’on l’obligeait à s’asseoir sur un divan en face d’un inconnu. Il ne parla pas lors de la première séance. Ni aux suivantes. Mais son silence était éloquent, disait le psychiatre. L’inconnu au sourire forcé et le carnet de notes dans les mains le bourrait de médicaments. Scarlett semblait ravie mais elle culpabilisait également d’avoir dû aller aussi loin avec son petit bébé. Un jour, elle le considérait comme un handicapé mental bon à être interné, le lendemain elle revenait avec un sourire coupable, les yeux larmoyants, de douces paroles en bouche. Elle était écœurante.


KLEPTOMANIA. Le psychiatre avait conseillé à Scarlett d’inscrire son fils dans un club de sport pour qu’il puisse se défouler, se trouver même une passion accessoirement. Parce que Casey a toujours refusé un quelconque domaine artistique. Il ne voulait pas que son handicap oculaire soit encore une raison pour ses camarades de se moquer de lui. Mais la plupart des sports que lui proposait sa mère le faisait grimacer. Foot ? Il avait des préjugés sur les joueurs de foot ; pour Casey, ils étaient tous écervelés ou à deux doigts de l’être. Basket ? Ce n’était pas son trip de tripoter un énorme ballon dégoulinant de transpiration. Tennis ? Natation ? Rugby ? Hockey ? En somme le seul sport qui lui semblait convenir c’était bien le hockey. Se défouler sur de la glace, dans un équipement lourd et imposant, marquer des points, oublier l’absence de Bonnie… Sa vie ne tournait qu’autour de sa sœur. Il en voulait à mort à sa mère de lui avoir arraché sa Bonnie. Il lui vouait une haine viscérale pour cette infamie responsable de son mal-être. Au moins, en faisant du hockey, il s’épanouissait. Plus ou moins. Il ne supportait pas quand sa mère venait aux entraînements et aux matchs. Parce qu’elle avait toujours des reproches à faire à l’entraîneur, surtout si celui-ci se montrait un peu trop négligeant avec son fils. À force d’endiguer la colère qu’il ressentait pour Scarlett, Casey disjoncta. D’abord en volant tout ce qu’il voulait : des jeux-vidéos, des vêtements, de la nourriture… Au début, il volait pour la valeur des objets. Mais petit à petit, il se mit à voler tout et n’importe quoi. Peu importe les objets, des circonstances, il se sentait extrêmement bien quand il volait quelque chose. Une poussée d’adrénaline, dirait son psychiatre. Perturbé par des circonstances familiales, dirait sa mère.

Et puis, il se mit à fuguer. À dix ans. Pour aller retrouver Bonnie. Parce qu’en retrouvant Bonnie, tous ses problèmes mentaux s’envolaient. Quand il tenait sa sœur dans ses bras, il avait l’impression de retrouver cette partie de lui manquante. Christopher n’était pas inquiet de retrouver son fils tardivement dans la chambre de sa fille, il trouvait cela même légitime que Casey préfère fuguer que de vivre avec Scarlett. Au moins, il avait l’impression d’avoir un point commun avec son fils puisque lui non plus, ne supportait pas Scarlett. Personne ne supportait Scarlett. Elle était néfaste. Mais parfois, pour Casey, elle était tellement néfaste qu’il s’imaginait l’étrangler dans son sommeil. C’était mal, pas du tout normal. Mais il se sentait bien quand il envisageait une telle chose. Il n’en a jamais parlé à son psychiatre mais… il a longtemps espéré la mort de sa mère. C’est à son père qu’il parla de ça. « Chris… C’est normal de haïr sa propre mère ? De vouloir l’enterrer ? De ne rien ressentir quand… quand elle, elle montre des marques d’affection ? Je crois que je hais Scarlett. Mais vraiment. » C’était une confession, Christopher le savait, mais elle était tellement malsaine… sauf qu’il garda cette confession pour lui. Il n’avait jamais été proche de Casey, il avait l’impression que son fils préférait largement Scarlett à tous les autres membres de sa famille. Mais quand Casey lui déballa ses pensées… Christopher eut l’impression d’être compris. Il ne répondit rien, cette fois-là. La seule chose qu’il fit, c’est d’apprendre à son fils de lâcher sa colère en faisant de la boxe anglaise. Il ne l’avait pas clairement dit mais il avait compris que pour Casey… la poire avait pris la forme de Scarlett dans la tête du gamin. L’avertissement n’avait jamais pu franchir ses lèvres, celui de ne jamais réitérer l’acte dans la réalité. En particulier sur sa génitrice. C’est sans doute le plus grand regret de Christopher puisque Casey passa outre cet avertissement informulé.

Casey avait dix-sept ans quand l’irréparable s’est produit. Christopher avait déposé Bonnie sans prévenir parce qu’il avait dû filer en urgence au commissariat, à cause d’une affaire importante. C’était durant le dîner. Quand Bonnie arriva, Scarlett ne la salua pas. Elle s’excusa faussement de n’avoir préparé à manger que pour deux personnes. « T’en fais pas, Scarlett, commença Casey en employant le prénom de sa mère, ça avait le don de la sortir de ses gonds en quelques secondes, je donnerai ma part à Bee, j’ai pas faim. Et puis, vu tes talents culinaires… » Comme prévu, Scarlett grinça des dents quand Casey poussa son assiette vers Bonnie, une main protectrice autour de ses épaules. C’était un combat entre la mère et le fils, cette fois-là, mais débuté par l’arrivée d’une enfant mal-aimée par sa mère. Mais tout dégénéra quand Scarlett prit son fils à part. « Comment oses-tu… comment oses-tu accepter cette chose à notre table. Elle est fausse, ta sœur n’a rien de spécial. Tu ne dois pas l’apprécier, l’aimer, la chérir, elle ne t’apportera que des malheurs et complications. Elle est mauvaise, elle est de la pire espèce. De la même espèce que son père, elle n’a rien de spécial, rien de spécial… Tu m’entends ? Tu ne dois pas te rapprocher d’elle, tu m’as moi… » Son point s’abattit sur la joue de sa mère, la stupeur clairement visible sur son visage. Et puis un autre coup de poing. Et un autre. Il la repoussa en arrière, s’assit à califourchon sur le corps effrayé presque agonisant tandis que l'adolescent de dix-sept ans rouait sa mère de coups, marquant çà et là. Mais les blessures… ces blessures n’étaient rien par rapport à ce que sa mère ressentait, intérieurement. Elle se sentait trahie mais elle se laissa étreindre par la culpabilité car pour une fois, elle sut qu’elle avait été trop loin. Bonnie, derrière… qui tentait de calmer la fureur du brun. Mais Casey était littéralement hors de lui, c’était inconcevable qu’une femme pareille soit sa mère, il voulait la détruire. L’anéantir, enrayer tout le mal qu’elle avait fait. Mais merde, comment une mère pourrait se comporter ainsi avec sa propre fille ? « Je t’en veux, putain, je te déteste, je ne veux pas de ton amour, je veux rien de ta part… Je préfère que tu crèves, que tu nous laisses en paix. Je t’en veux, on t’en veut, on te déteste, personne ne te supporte. Ta famille se déchire sous tes yeux et toi… toi tu t’accroches à des illusions. Crève, bordel, crève… » Pour la première fois de sa vie, il disait exactement ce qu'il pensait de sa mère. Comme si, en s'en prenant à sa sœur, elle lui avait tiré les vers du nez. Des vers sans rimes, creux et stériles. Il avait l'âme en peine, la colère destructrice, la haine toxique. Les jumeaux avaient mal, bordel…

☆ admission : Malgré toutes les crasses qu’il a pu faire à sa mère (stockholmisée), celle-ci n’a jamais cessé de ne vouloir que le meilleur pour sa progéniture. Ainsi, la meilleure école, de très bons contacts, des uniformes impeccables… Elle voulait le meilleur pour lui. C’est sans doute la richesse des Capper qui a garanti une place à Casey à Poudlard. Parmi tous les gosses de riches qui le rendent encore plus haineux qu’il était avant. Avec morgue, il a accepté d’y aller. Sa seule consolation a été d’y retrouver sa sœur puisque le plan était de manigancer contre les parents pour être dans le même bahut. Elle qui le convainquit de la suivre dans la L Team. Avec réticence d’abord parce qu’il avait de véritables préjugés quant aux membres de cette maison. Des attardés, d’après ce qu’il pensait d’eux à seize ans. Mais bien vite, il a compris que cette maison avait quelque chose de spécial. Il y avait, dans les yeux des autres membres, une flamme. La même que dans les yeux de Bonnie, qui avait raison sur cette maison. Depuis qu’il y est, Clyde a pris ses aises. Il a une grande gueule, il se bagarre trop souvent mais au moins, il est un bon élément pour la maison. Même s’il a été viré du club de hockey à cause de ses bagarres répétées lors de son 10th grade, ça lui a permis de s’investir pleinement dans le club de boxe. Sauf que pour l’instant, il n’a rapporté qu’un seul trophée. Depuis septembre, il est également membre du club de photographie sous les conseils de sa sœur parce que… apparemment, un achromate est capable de prendre les meilleurs clichés en noir et blanc. Sauf qu’il ne s’y rend jamais. Ou une fois par mois. Ses notes ne sont pas fabuleuses, il fonctionne par envie, motivation. Et même parfois, si le prof ne lui plaît pas, il ne travaillera pas. Heureusement qu’il se sent bien en MPI, Slughorn est cool comme prof.