C'était l'une des seules choses qui lui restaient. Le dernier morceau de sa mère. Cette phrase, minuscule. Cette phrase qui débarquait parfois sans prévenir et commençait alors à la hanter. Qui tournait et tournait encore dans sa tête sans jamais s'arrêter. I would die in ecstasy. Chanté par la douce voix de Norah Jones, puis par celle de Mme Capper. Mme Capper. C'était tellement pratique de l'appeler ainsi, tellement loin de tout sentiment, lavé d'émotions. Elle avait toujours considéré Bonnie comme un élément désagréable. Quelque chose en trop. Une étrangère qui ne faisait pas parti de la famille. Est-ce qu'elle se rappelait seulement qu'elle avait une fille ? Elle jouait si bien le jeu que Bonnie venait parfois à en douter. Elle était une sorte de dommage collatéral dans la vie de sa mère. Deux gamins étaient nés, alors qu'elle n'en voulait qu'un. Et c'était Clyde. Pas l'autre gamine. Pourtant, Bonnie était du genre facile à vivre. Elle était capable de s'adapter facilement à tous genres de situations, savait être discrète et se contenter de peu. Mais ça n'était pas entré en compte. A vrai dire, ça n'avait pas eu la moindre importance. Elle avait été jetée, et elle remettait souvent ça sur le tapis. Auprès de Casey, surtout. Comme si c'était de sa faute à lui, alors qu'il n'y était pour rien, pour une fois. Elle lui en parlait souvent, criait à l'injustice comme s'il était encore temps de réparer les erreurs. Elle le savait bien, pourtant, au fond d'elle. Elle avait fini par se faire à l'évidence. Par s'y résoudre. Oui, elle le savait parfaitement. Que c'était trop tard.

Alors, allongée en regardant les étoiles, elle se demandait tout ce qu'elle changerait si elle avait la possibilité de revenir en arrière. Vraiment très loin, admettons. Remonter jusqu'à sa naissance. Elle garderait Clyde, ça c'était clair. Au moins une chose dont elle était sure. Casey, c'était plus qu'un frère, c'était un jumeau doublé d'un formidable confident, c'était comme l'amour de sa vie. Celui qui la préservait non seulement de l'ennui, mais aussi d'un désespoir certain. Il était ce qui lui était arrivé de mieux. Elle garderait probablement son père également, même si elle lui en voulait pour le divorce, bien injustement, mais aussi pour son boulot trop prenant qui l'avait rapidement poussée à être plus indépendante que la normale. Solitaire à l'extrême, même. Débrouillarde, aussi. Elle changerait l'état des finances, par contre. Elle était fatiguée de toujours devoir regarder le prix, de compter le moindre centime. Savoir qu'elle était à Pourdlard grâce à une bourse lui mettait une pression terrible. Et Bee n'était pas le genre de fille à passer son temps à étudier. Elle se contentait du minimum pour garder le niveau acceptable, et basta. Elle changerait sa mère, aussi. Elle la ferait mourir jeune. De manière tragique, plutôt. Dans d'atroces souffrances. Elle n'avait pas d'idée précise de comment pourraient se dérouler les événements, parce que le scénario était différent chaque jour. Ça ne ferait même pas de peine à Clyde. Peut-être qu'il serait le premier à l'aider. Et il y avait autre chose qu'elle aurait voulu changer. Une erreur récente mais qu'elle ne pouvait pas s'enlever de la tête. Encore une fois, elle avait été virée comme une malpropre. Pourtant, elle avait eu le temps de s'accrocher, elle avait commencé à s'attacher. A lui. Alors que presque tout les opposait. Alors que tous les signes les éloignaient. Elle lui avait fait confiance et avait cru en chacune de ses promesses. Aiden. Elle n'aurait jamais du. Elle avait eu tord.

Se redresser lentement, se rendre compte que des larmes ont coulé sur les joues, mais que l'eau n'est pas passée sous les ponts. Pas assez de temps depuis qu'Aiden l'a foutue à la porte, pas assez de recul. Tant pis. Ça ne peut pas rester comme ça. Ça ne peut pas rester dans l'état. Bonnie, c'est le genre de fille qu'on ne blesse pas, qu'on ne brise pas. Qu'on ne manipule pas, dont on ne se joue pas. Elle sent rapidement la rage s'emparer d'elle. Elle se fout de ce que pense ce connard. Elle ne veut pas savoir qu'il ne veut plus la voir. Elle ne veut pas savoir qu'elle est allongée sur un banc public, toute seule, en pleine nuit, parce qu'elle ne veut pas risquer de montrer ses faiblesses à quelqu'un. Non, elle ne veut pas savoir tout ça. Elle veut la tête vide, pour une fois. L'esprit léger. Alors elle laisse ses pas la guider. Et lorsqu'elle lève les yeux, elle est devant sa porte. Celle de la chambre d'Aiden. Il est là, forcément. A une heure pareille, où est-ce qu'il pourrait être d'autre ? Bonnie n'a pas honte de se pointer en plein milieu de la nuit pour cracher son venin au visage d'un serpentard. Bonnie n'a pas honte d'être là où elle ne devrait pas être, là où elle n'a pas sa place. Elle n'a pas honte de violer tous les couvre feu existants, toutes les restrictions, toutes les lois. Parce qu'elle est une formidable usine à mensonges, qu'elle s'en sort toujours. C'est presque sans exception. Mais avec Aiden, ça n'a pourtant pas tourné comme elle le souhaitait. Il est son exception. Et pour une fois, elle n'est pas là pour mentir. Elle toque doucement, comme si elle craignait que la porte avale sa main. Puis elle attend, mais ça lui paraît interminable. Alors elle s'appuie contre le mur et se laisse glisser, jusqu'à se retrouver assise sur le sol. Et elle triture ses mains sous l'angoisse, sachant d'avance qu'elle sera probablement mal reçue.