☆ histoire : Il y avait ce fossé creusé entre les deux générations de Nott : les ancêtres restrictifs, exigeants et traditionnalistes ayant déteint sur l’aîné, et le cadet prodigue, plus souple, adepte de changements. Les années qu’il avait passées en Amérique étaient sans doute pour quelque chose dans ce relâchement, mais qu’importaient les raisons – seuls les effets comptaient : Billie-Jean et Denzel n’avaient jamais subi de pression particulière de la part de leur père. Alors forcément, pour eux le sexagénaire qu’était leur oncle était tout un mystère à lui seul. Un brin... inquiétant, même s’ils ne le voyaient que quelques fois l’an, à l’occasion des réunions de famille organisées pour préserver les apparences. Ces rencontres-là se passaient toujours de la même manière : retrouvailles teintées de politesse, d’une pointe de bonne humeur et d’une bonne couche de méfiance d’abord. Puis les discussions d’usage au sujet des affaires des uns et des autres, les dernières nouvelles. Les hostilités débutaient alors, chacun y allant de son commentaire sur un ton doucereux, puis de plus en plus agressif. Et parallèlement aux discussions animées des adultes, la marmaille profitait de ces moments trop rares : les jumeaux, étrangement libres de toutes contraintes ou retenue au cœur de cette ambiance tendue, Tristan, l’aînée du lot, qui ne manquait pas une occasion d’échapper aux restrictions imposées par ses parents, et Théo, pour qui les ordres de son père avaient l’air d’être paroles d’évangile. Billie n’aurait sans doute jamais pensé que son pire acte de rébellion lui serait dicté par le plus docile de ses cousins. Ça n’avait été que des paroles en l’air, lâchées sur un ton désintéressé. « Tu veux tenter ta chance? Démerde-toi alors. Fais-toi passer pour ton frère tiens, trouve une astuce pour faire tes preuves. » Il aurait suffi d’un minimum de bon sens pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un conseil qui attendait d’être suivi... mais Billie-Jean, elle, avait toujours marché à l’audace plutôt qu’à la sagesse.
« Attends, laisse-moi récapituler tu veux? » La blonde étouffa un soupire et se contenta d’un large sourire... dont son jumeau ne fut pas dupe. Ce qu’elle voulait, elle, ce n’était pas qu’il récapitule encore et encore sa proposition – elle aurait préféré qu’il se contente gentiment de capituler. Mais ce n’était pas le moment de s’impatienter, la réponse positive qu’elle espérait était loin d’être assurée. « Tu veux emprunter mon identité pour entrer à Poudlard et intégrer l’équipe de foot. » Hochement de tête. « Pendant ce temps je profite de ma liberté pour voir du pays, c’est ça? » Nouveau hochement de tête. « It won’t work », se contenta-t-il de chantonner en guise de conclusion. Billie relâcha son souffle – elle n’avait même pas eu conscience de l’avoir retenu – et sa main se referma comme une serre sur le bras de Denzel pour le retenir alors qu’il s’apprêtait à partir. « Prends au moins le temps d’y réfléchir, j’te jure que ça pourrait marcher ! On se connait par cœur, je suis ton double, pourquoi tu penses que je ne serais pas crédible dans ton rôle? Et toi… tu as envie de te ranger? Déjà? On a eu toutes les libertés qu’on voulait et maintenant qu’on est à deux doigts d’atteindre nos objectifs les parents nous dépaysent pour nous faire rentrer dans les rangs, tu trouves ça juste toi? » Elle s’interrompit pour s’exhorter au calme. Damn shit, cette affaire ne manquait jamais de la mettre en rogne. Son oncle avait obtenu gain de cause sur son paternel après des années de lavage de cerveau infructueux; résultat? On la tirait de sa terre d’adoption pour la ramener en Angleterre. Ce n’était pas si grave; l’Angleterre était bien souvent morne et grise, mais à force d’y passer ses étés elle avait noué des liens avec ses origines. Et puis… en Angleterre, la ligue qui regroupait les treize meilleures équipes de foot de Grande-Bretagne et d’Irlande était brillante. Elle comptait même dans ses rangs les fameuses Harpies de Holyhead, l’équipe féminine favorite de Billie. Forcément la blonde avait sauté au plafond en s’imaginant déjà être recrutée pour rejoindre leurs rangs… et était retombée de son nuage en apprenant que pour elle, le foot, c’était fini.

Elle n’était pas du genre à se laisser anéantir par une annonce de ce genre. Plutôt à en rire. You must be joking.. Mom..? You're kidding me right now, aren’t you? ... Et à déchanter en comprenant qu’il n’y avait là aucune plaisanterie vache, mais une « décision mûrement réfléchie ». Elle la trouvait rageante, cette façon qu’avaient ses parents de sortir ces deux mots comme s’ils étaient une sorte de formule magique supposée mettre fin à toute protestation. C’était le moment où elle devait se taire et dire « Amen. Je sais que vous agissez pour mon bien, je vais certainement suivre vos conseils à la lettre, même s’ils me déplaisent ». Mais acquiescer revenait à accepter que toutes les années passées à suer sur le terrain et à se défoncer pour son rêve avaient été une foutue perte de temps. S’ils avaient eu l’intention dès le départ de lui couper les ailes avant qu’elle n’ait pris son envol, est-ce qu’il n’aurait pas été plus honnête de le faire dès le départ, plutôt que de lui laisser de faux espoirs et de les piétiner par la suite?

Mais le sport, c’était plus qu’un passe-temps : c’était un mode de vie. Deux mois qu’elle avait quitté le Texas pour retrouver Londres. Deux mois qu’elle tournait en rond avec la sale impression de s’ankyloser à force d’inaction. Les réceptions mondaines n’avaient plus la même saveur : elle qui s’y prêtait auparavant sans rechigner les trouvait désormais grotesques, insipides. Plus rien n’avait d’intérêt réel. Et elle avait complètement flippé en comprenant que si elle ne saisissait pas sa chance de changer les choses… ce serait sa vie entière qui resterait ainsi dénuée de saveur.

Et puis il y avait eu Théo et sa suggestion irréfléchie. Billie l’avait entendue sans vraiment y prendre garde… jusqu’au jour où son jumeau s’était pointé dans sa chambre pour lui annoncer que leur mère parlait de l’inscrire à Poudlard et de le faire intégrer le Real Hogwarts United. C’était un comble, non? Mais après avoir commencé par s’insurger, elle s’était laissé distraire par… une drôle d’idée. Le RHU était connu pour former les meilleurs et être un tremplin assuré vers la carrière professionnelle. C’était l’opportunité qu’elle espérait, non? Il suffirait qu’elle entre à Poudlard sous les traits de son frère, qu’elle brille au cours des compétitions et… qu’elle se fasse repérer par les recruteurs qui assistaient régulièrement aux matchs. C’était un subterfuge tordu, certes, mais il devait marcher. « Tu sais quoi, Denz’? Si je loupe ma seule chance par ta faute je finirai célibataire et dépressive, à moisir entre ta femme, tes enfants et toi avec mes soixante-dix-sept chats. Et je te jure que les seules fois où tu pourras lever le nez de ta paperasse, ce sera pour m’entendre grincer à tes oreilles que tu iras brûler en enfer pour m’avoir gâché la vie ! Alleeez darling, dis oui ! »

☆ admission : « There's only now, there's only here. Life is just a moment, how will you know If you never dare to try? » Cette phrase a tourné dans l’esprit de Billie telle une litanie persistante et motivante, depuis qu’elle s’est mis en tête de s’inscrire à Poudlard sous les traits et l’identité de son frère. Son propre dossier a été détourné alors qu’il était en partance pour un lycée privé pour filles. Elle s’est même arrangée pour faire du charme au portier : il récupère le courrier envoyé par ses parents et le transfère « à son frère »… qui se trouve être elle-même. Denzel Nott : tel est le nom sous lequel on la connait au sein du château. Alors qu’elle se fait passer pour lui dans le seul but d’intégrer le RHU, le vrai Denzel profite d’une année sabbatique entre l’Europe, l’Asie et les tropiques. Issu d’une bonne famille, suffisamment friqué pour payer les frais de scolarité exorbitants, des notes honorables par-dessus le marché – scolarisé en Amérique et de retour en Angleterre pour sa dernière année de lycée, il n’avait aucune raison d’être refusé à Poudlard. Quant à sa place à Gryffondor… Il n’y a rien de moins surprenant : le vrai fils Nott n’a jamais fait plus que le strict minimum en cours. Plus porté sur l’amusement, le sport et les filles, il est connu pour profiter de la vie sans se soucier outre mesure du lendemain. Tout sauf un profil de Serdaigle. Poufsouffle? Il n’a absolument pas l’âme d’un artiste. Et Serpentard… à quoi bon? C’est un bon vivant, pas un coincé du luc qui compte sur l’argent de ses parents pour lui sauver la mise à chaque frasque – quoique. En guise de club, il aurait paru plus logique de le voir opter pour le Hand ou la Natation, lui qui n'a jamais vu le football que comme un « passe-temps sympa, sans plus ». Mais ce sport est une affaire de famille, chez les Nott; le fait qu'il le prenne plus à coeur ne pouvait que plaire à ses géniteurs.