– C'est dingue ça. A chaque rentrée, c'est pareil. Il faut qu'on se présente, genre, intégralement, à nos profs. Et eux, ils ne font même pas l'effort de faire circuler les infos. Sans dèc. Tu trouves ça normal, toi, Heda ?

Carrément que non, lui aurait répondu son interlocutrice, si elle avait pu parler. Si elle avait pu. Mais elle se contenta de la regarder succinctement avec ses grands yeux marrons et de retourner à son foin aussi sec, dès qu'elle eut fini les brins qui lui restaient encore dans la bouche. Cause toujours, tu m'intéresses, tiens.

– T'as qu'à le dire si je t'emmerde, surtout.

Pas de réponse, tant pis. De toute façon, elle ne s'attendait pas vraiment à voir une quelconque once d'intelligence dans le regard de la brebis. Qu'est-ce que c'était con, comme bestiole. Elle en regretterait presque le hamster de sa sœur.
Presque.
Avec un soupir, elle s'installa – que dis-je, elle s'étala – dans le foin, mordillant son stylo en lisant le questionnaire. Dieu que ça lui faisait perdre du temps. Lorsqu'elle était arrivée à Poudlard, ça ne l'avait pas étonnée : on change d'école, les instits veulent vous apprendre, c'est normal. Mais se coltiner le même boulot d'une année sur l'autre, pour quoi faire, hein ? Voir l'évolution psychologique des élèves ?
C'est vrai qu'il y avait de quoi devenir barge.

– Nom... Date et lieu de naissance... Adresse... Classe de l'année dernière... Principales qualités ? On avait répondu quoi à cette question l'année dernière, Heda ? ... Mh, ouais, pas grand-chose.

Elle griffonna quelque chose concernant la patience, le calme, la malléabilité, l'ouverture d'esprit dont elle faisait preuve. Enfin, pour une personne comme elle, c'eut été plutôt mal venu d'aller critiquer quoi que ce soit. C'était ce qu'elle se disait quand elle osait un timide « je ne suis pas vraiment d'accord avec vous », « je crois que vous avez tort », « c'est pas vraiment ça ». Timide et renfermée, elle n'ose que peu s'exprimer face à ceux dont elle ignore tout. C'est-à-dire la majorité des gens. Elle ne va pas vers eux, c'est réciproque, ça lui va. Plus ou moins.
Parce qu'au fond, c'est surtout un problème de communication.
Une fois qu'on la connait un peu, la Eldrid, ça la change du tout au tout. On se rend compte que c'est une fille pleine de vie (voire un peu barge), très à l'écoute de son prochain, et de bon conseil en plus. Quand son cerveau n'est pas en pause-café. C'qui n'est pas rare non plus. Y a des fois, comme ça, où elle décroche. Mais non, c'est pas parce qu'elle s'emmerde.
Ouais, si, en fait. Mais bon. Il suffit de lui faire rattraper le fil de la conversation et ça repart comme en 50 – sauf si elle est dans un jour sans, là, y a rien à en tirer.
Et enfin, il y a la troisième classe. Les quelques (très) rares élus qui ont conscience de ses états d'âme. Et pour lesquels elle irait au bout du monde, voire aux Etats-Unis – ce qui est bien pire. Triés sur le volet, ce sont les seuls à connaître le fin fond de ses pensées, de sa vie, de ses secrets – ha ha non, pas CELUI-LA.
Quoiqu'il en soit, les trois classes s'entendent pour dire que la Eldrid, elle est du genre flegmatique. Un calme, une patience à toute épreuve. Ça aide à se faire respecter, l'air de rien. Pourquoi on irait emmerder la seule fille de l'école qui n'en a strictement rien à battre ? Ou, du moins, qui ne le montre pas. Bah ouais. C'pas drôle. Pourquoi enfermer quelqu'un dans un placard si elle ne demande pas de l'aide ? Tchk.

– Principaux défauts.... Bah, lunatique ?

Plus ou moins. A force de tout garder pour elle, y a des jours où ça pète. Forcément. Mais ce ne sera jamais fait de manière violente. Peut-être un léger haussement de voix, des disparitions hors des heures de cours. Elle ne frappera que rarement. Et, si jamais ça arrive, c'est que l'autre aura un peu trop tiré sur la corde. La corde, c'est comme le poney, on y touche pas. Namého.
Mauvaise concentration, rajouta-t-elle, consciente que cette remarque lui vaudrait sans doute un regain d'attention de la part des enseignants. Elle qui marchait en regardant ses pieds, avait bien souvent la tête dans les nuages. Et pourtant, elle n'aimait rien d'autre plus que le théorique. Les maths, la grammaire, étaient des valeurs sûres. Les phrases, l'économie, les gens, étaient bien trop instables pour être fiables. Comme tout un chacun, elle en avait fait les frais. Mais, d'une nature facile et discrète, quoique rancunière, elle se remettait mal de chacune des plaies, grandes ouvertes, qui s'agglutinaient dans son âme. C'était ça, de ne pas extérioriser. Ses parents eurent vite fait de mettre ça sur la crise d'adolescence. Avec plus ou moins de raison.
Et ça ne l'a pas aidée à avoir confiance en elle, la petite. Ça, c't'un défaut des plus emmerdants. Oh, pas qu'elle n'aie pas confiance en ses capacités, non, elle est lucide, elle sait ce qu'elle vaut dans ce qu'elle réussit. Mais pour le reste.... Allez, on va jouer au Petit Poucet, le but c'est de retrouver la Danoise en suivant les petits morceaux qu'elle laisse sur son chemin. Et c'pas bien difficile. A la moindre gaffe, elle se sent tellement responsable qu'elle se croit obligée de s'excuser au moins quinze fois. Alors, bien sûr, c'est sujet à moqueries. « Bah alors, le panda a un œuf sur la tête ? Tu devrais te peindre toute la tronche en noir, au moins tu ressemblerais vraiment à Calimero. » Allez tous vous faire cuire des lasagnes.

– Loisirs et passe-temps.... Parler à une brebis galeuse.

Brebis qui n'eut pas plus vite fait de se désintéresser de la jeune fille et de repartir ruminer au fond de son pré boueux. Elle hésita un instant, inscrivit les notions « rugby », « échecs », « nature » dans l'emplacement réservé. Elle savait les deux premiers termes connus ; ce n'était pas la première année qu'elle se portait volontaire pour faire partie des équipes – pas qu'elle était particulièrement douée (ouais, ok, pour le rugby elle déchire), mais ça l'occupait et lui permettait de faire des expériences sociales intéressantes. Elle espérait le dernier assez vague pour évincer d'éventuelles questions plus poussées. Elle voyait mal comment expliquer la folle course après les moutons, le replantage de piquets arrachés, les gamelles à cause de la boue qui lui montait jusqu'aux genoux. Nope. Mieux valait taire les détails. Le vague ferait l'affaire. Après tout, y en avait bien qui indiquaient le terme « plage » dans leur dossier, ça n'inquiétait personne. Si elle commençait à décrire toute sa journée... Moins j'en fais, mieux je me porte.
En plus, ça maintient la santé et le moral.
Elle commença à inscrire la lettre P puis la raya sans enthousiasme. Si elle aimait toujours autant son Poly(poney – merci à nos amis chimistes pour cette merveilleuse trouvaille moléculaire), il appartenait au registre du passé, de la même façon que sa douceur enfantine. Assez brute de décoffrage, Eldrid a oublié qu'il fallait ménager les sentiments d'autrui. Au diable les stupides chansons d'amour, place au hard rock !
La musique. Elle l'adore, elle l'adule, elle la vénère. Mais elle la garde bien secrète au fond d'elle, se contente de l'écouter en public. Et si son baladeur est en panne, sa tête fait office de remplaçant. Mais, s'il lui prend l'envie de chantonner ou quoi que ce soit, ce n'est pas en compagnie de ces païens ladygagantuesques qu'elle le fera – socialiser, oui, mais faut pas pousser mémé dans les orties non plus ! En plus, elle sait pas chanter. Un peu jouer, vite fait, si on lui file des tablatures et avec un bon gros boulot derrière. Mais faisons fi des apparences, hors de question qu'on apprenne qu'elle joue de la guitare (enfin, jouer, c'est vite dit. Ca tire une corde par ci, une corde par là, ça regarde ce que ça fait et ça se dit guitariste... Alors quand ça se dit pas guitariste... c'est pire). Vous imaginez le truc ? Se retrouver, là, conforme à tous ces gens qui chantent, dansent et jouent de la trompette... Brrr. De quoi donner des frissons.
Oui, la conformité, c'est pas trop son truc. Elle sait se fondre dans la masse sans y appartenir, et c'est ce qui lui convient le mieux. L'idée même de pouvoir se comparer à cette bestiole ruminante sans cervelle qui se trouvait en face d'elle la dérangeait. Profondément. Pas qu'elle dénigre les personnes qui n'ont pas grand chose dans le bulbe, non, elle ne se le permettrait pas. Mais elle espérait être assez intelligente pour se tirer du lot et, à défaut de passer pour une intellectuelle, ne pas suivre le troupeau dans le gouffre. « Vous êtes tous des moutons ? Eh bah moi, j'suis la chèvre. » Une chèvre particulièrement friande des films de Tim Burton, ceci dit en passant. Stéréotype assumé. Habits sombres, hard rock, films glauques – mais pas ceux avec les fantômes, brrr, c'te frousse que ça lui fout tiens. Chiasseuse comme pas deux, avec ça – et lectures toutes aussi juvéniles. Ah que? Mais non, elle ne regarde pas que ça. Y a le fantasy aussi. Et le fantastique. Et les dessins animés. Oh, fuck, qu'est-ce que ça gère les dessins animés. Installez-là devant Le Roi Lion, vous avez la paix pendant une heure et vingt-neuf minutes. Enfin, plus que d'habitude quoi. Hakuna Matata ~

– Ambitions futures. La question qui tue, quoi.

Et que je te tire un grand trait sur la case. Azy, elle avait déjà assez à faire avec le présent sans s'emmerder avec l'avenir. Le but, déjà, c'était d'aller au bout de son diplôme de fin d'études. Pour le reste, elle y penserait en temps et en heure.
Et là, le temps, ce n'était pas ce qui lui manquait. Mais pas tout de suite. Parce que là, maintenant, fallait sortir ses collègues loosers des placards.
Vivement la retraite, tiens.

☆ histoire : Il y avait trop de lumière. Et il faisait froid. Très froid. Trop froid. Elle était recroquevillée dans sa position favorite, les bras enroulés autour de son maigre corps. Et tout d'un coup, on l'avait jetée, sans explications, sans rien. Bien sûr, elle avait tenté de résister, de rester dans cet endroit où elle était si bien, mais rien n'y avait fait. Le propriétaire avait estimé que le préavis était dépassé. Et l'avait expulsée sans ménagement. Une fois dehors, là, à brailler, voilà qu'on la frappe. « C'est une fille », qu'elle entend. Elle n'a même pas droit à son mazel tov. Non, elle a juste droit à une sorte de liquide trop chaud ou trop froid, par à-coups, et à un « Sois la bienvenue, Eldrid Dagmar Andersen. » Azy, qu'est-ce que tu racontes toi, t'as fumé, c'est pas bienvenue, c'est adieu quand on fout les gens dehors.
Déjà bébé, elle avait tout compris à la vie.

– Il est pour moi, c'est vrai ?

Le sourire radieux de l'enfant devant un cadeau de Noël valait, pour le couple danois, tout l'or du monde. Et c'était pour ce sourire qu'ils venaient de se taper quatre cents bornes aller-retour dans un vieux van sans la climatisation, histoire de ramener à leur fille un poney un peu débile qui pourrait passer l'hiver. Les poules ne l'amusaient plus comme avant, il fallait combler le vide, lui faire assumer des responsabilités, tout le blabla. Tu parles, à quatre ans, qu'est-ce tu veux rendre une gamine responsable. « Oui papa, je m'en occuperai, c'est promis ! »
Aherm. Ça, c'était bien pour les câlins, les gratouilles, les confidences à deux heures du matin, bref, l'aspect social du truc, t'vois ? Nan, parce que quand y fallait lui apporter du foin ou curer le box, au pauvre poney, y avait bizarrement plus personne – ceci dit, sa sœur fit plus tard la même chose avec son hamster, donc pas de mauvais sentiments, pour sûr ! C'normal. Et puis, il fallait bien occuper l'adorable, le gentil, le tout-doux, le câlin Poly pendant que sa maison était en chantier. Ça faisait bien sourire ses parents. Même si ils tirèrent une tête de trois kilomètres de long lorsqu'elle ramena le bestiau devant la cheminée parce que « il fait froid dans sa maison et on peut même pas faire du feu. » Il n'aurait pas fallu que le pauvre poney attrape un rhume. Avec ses grands naseaux, il aurait pu sécréter assez de morve pour se noyer. C'était une question de vie ou de mort. Enfin, pour elle en tout cas. Parce qu'il ne fallut pas bien longtemps avant que l'intéressé ne retourne dans sa demeure.

– Tu sais quoi Poly ? Maman attend un bébé! Je te la présenterai plus tard parce que la cigogne met du temps à arriver il parait...

La joie d'avoir une cadette dura bizarrement peu. Oh, la petite blondinette ne détestait pas Astrid – son parfait opposé, non, elles entretenaient... des relations normales pour des enfants de cinq ans d'écart. Elle se sentait délaissée par ses parents, qui passaient le plus clair de leur temps à s'occuper de la dernière-née, braillarde, pas foutue de les laisser dormir trois heures d'affilées. Le soir n'était plus son moment privilégié, elle se rendit vite à l'évidence. Et au petit matin, sa cadette était toujours dans le lit parental. Tous les matins, pendant trois ans et demi. Parce qu'elle n'arrivait pas à dormir. Parce que sinon, papa et maman seraient trop fatigués pour aller travailler.
Et le fossé commença à se creuser, lentement. A l'école, elle faisait partie du lot. Voire au-dessus. De très bonnes notes. Une gentille fille. Discrète, mais avec les idées bien arrêtées. Facile à vivre. Les bulletins se succédaient, racontant toujours la même chose. Mais rien n'est jamais comme sur les bulletins. Et les gosses sont mauvais, les uns avec les autres. Les groupes se formaient, se défaisaient, se disputaient. Avec ou sans elle. Et à qui est-ce qu'elle allait raconter tout ça ?
Haha, vous êtes des p'tits malins, vous avez deviné tous seuls. Quoi, vous aviez pas compris que c'était le Poly ? C'tait pourtant pas bien difficile. Le poney devint son unique confident, « son seul amour de sa vie », son ami le plus cher. Bref, c'était Superponey. Si on l'écoutait, il était même capable de lire et écrire.
En tout cas, ce qui était sûr, c'est qu'il l'éloignait de ses congénères humanoïdes. Si, si, ces choses là, qui te parlent à la pause pour te demander la signification du cinquième mot de la page cent quatre-vingts-quinze du Petit Robert. Et qui te réveille à quatre heures du mat' parce qu'ils ont mal au ventre. En somme, ces énergumènes que tu côtoies jour après jour. Ceux que tu fuis, parce que leurs mots te blessent. Alors que Poly, lui, ne te blessera jamais.

– Tu sais quoi Poly ? Papa m'a dit que maman et lui n'allaient plus vivre ensemble. Toi, tu dois rester avec papa parce que c'est lui qui a la grande maison, maman dit que tu ne rentreras pas dans l'appartement. Mais on se verra presque tout le temps, d'accord ? Juste un peu moins, parce que maman ne veut pas m'emmener tous les jours.

Le divorce des parents, elle le vécut normalement, elle s'en fichait un peu ; elle était dans un nouvel endroit, arrivait au collège sans connaître personne, ça ne la changeait pas beaucoup, sa mère était toujours là. Son poney lui manquait affreusement, mais elle savait qu'elle le verrait toujours le week-end et pendant la moitié des vacances scolaires. Ce n'était pas comme si elle l'avait abandonné. Mais qu'est-ce qu'elle pouvait s'ennuyer, pendant tout ce temps libre.
Elle pouvait toujours rattraper son manque de sociabilité. Elle parlait un peu avec les autres, commença à se chercher, à tenter de se démarquer, sortir du lot. Pas question de copier ces filles habillées tout en rose – beurk. Elle trainait plus avec les garçons – moins de chicanes, moins de chichis – et tentait de s'intéresser à leurs délires obsessionnels. Tant bien que mal.
Et puis, il y eut Søren. Dans le genre délire, ce gars-là, il méritait une médaille. « Eh, Ed, il paraît que t'aimes pas le cul-cul la praline ? Tiens, écoute-moi ça », qu'il lui avait dit. Et il lui avait collé du Iron Maiden dans les oreilles. Dans le genre révélation, ça lui avait fait un choc. Un choc qu'elle ne regretta nullement, bien au contraire. Elle pensa avoir trouvé ce qui lui correspondait. Plus ou moins. Elle lui demanda d'autres noms de groupes. Écouta. Adora. Commença à s'habiller en noir, à la grande déception de son pauvre père qui la voyait revenir chaque week-end avec un peu moins de couleurs. Eh, daddy, on a quatorze ans ou on ne les a pas.

– Papa, Poly est bizarre. Tu fais venir le vétérinaire cette semaine ?
– Oui oui, je le ferai.

Mais le week-end suivant, Poly n'était plus là. « Je l'ai donné pour qu'il fasse la nounou dans un élevage... en Angleterre. Ils avaient besoin de lui rapidement », lui raconta son père. Azy, tu m'prends pour une débile, qui en voudrait de ce hongre asocial qu'on nous avait venu une bouchée de pain parce qu'il supportait pas d'être avec les autres. Les larmes lui étaient venues, sans prévenir. Et la colère. Parce que Poly n'était plus là. Parce qu'on la prenait vraiment pour une dégénérée du bulbe. « T'es vraiment qu'un gros con », qu'elle lui répondit d'une voix sifflante. « J'ai même pas pu lui dire au revoir. Je veux plus jamais te voir. »
Elle était partie en claquant la porte et avait téléphoné à sa mère de la rue pour qu'elle vienne immédiatement la chercher. Enfin, immédiatement après le cours de danse d'Astrid. Parce qu'Astrid, si elle avait pas pu se faire complimenter sur ses pointes par la prof de danse en personne, elle ne leur foutait pas la paix de la soirée. Et v'là l'ambiance. Qui n'était pas au rendez-vous ce soir-là, soit. Donc ça n'aurait pas changé grand-chose. Enfin, peut-être que si. Son père n'aurait pas été le sujet principal de la conversation. C'vrai qu'un sujet de conversation, ça te change une vie, tiens.

– Allo, Søren ? Tu fais quoi ce soir ?

Et que j'm'incruste chez le super-pote qui pue le grand-frère à trente-mille kilomètres à la ronde. Allez, la soirée entre potos à écouter du métal à fond et à regarder des films qui font rêver d'aventures. « Mon cœur, tu ne m'avais pas prévenue que ton copain Ed était une copine », qu'elle entendit la mère de son ami lui dire. « C'est pareil, maman. »
Les amis homosexuels, c'est le bien. Autant que le chocolat.

– Iddy, prépare tes valises ! J'ai trouvé un travail à Edimburgh, on partira à la fin de l'année. Il y a un très bon lycée à côté de notre nouvelle maison, je suis sûre que tu vas t'y plaire !

Comme ça, la boucle était bouclée. Elle songea un instant que, de toute façon, à chaque fois qu'elle devait intégrer une nouvelle école, elle atterrissait en terres inconnues – et souvent bien plus hostiles qu'à la télé. Alors, quand ses petits camarades eurent passé leur certificat et prévoyaient de se taper un bon moment de glandage avant l'entrée au lycée, Eldrid, elle, potassait ses bouquins. Parce que ce que sa mère avait oublié de mentionner, c'était les examens d'entrée. Genre, de quoi te plomber tes vacances, un truc bien mortel. Si ça, c'était pas fait pour faire oublier aux enfants leurs rêves – et donc leur enfance, par extension –, c'tait mal joué. Parce que le rendu était le même. Les enfants sont heureux d'aller en vacances normalement, ils ne doivent pas les craindre parce qu'y a touuuuut un tas de bouquins à lire, relire et rerelire afin d'entrer dans un endroit pourri, dans un bled pourri, où personne ne branque un mot de Danois.

– MAMAAAAN !!! Eldrid elle arrête pas de m'embêter !
– Eldrid Dagmar Andersen, vas-tu enfin cesser de causer du tort à ta sœur ?
– Je ne fais rien de mal ! C'est Astrid qui raconte n'importe quoi ! Genre que les vampires brillent au soleil, non mais sérieux, faut vraiment être un attardé pour croire un truc comme ça.

Entre deux disputes avec sa cadette, elle révisa bien, passa les tests avec brio – si on peut appeler ça le brio ; en tout cas elle fut acceptée, c'est qu'ils ne devaient pas être si mauvais que ça – et se dirigea avec moult grimaces vers son nouveau lieu de culte connaissances : Poudlard.


☆ admission : Oublions un peu le rôle des appréciations trimestrielles. Parce que niveau influence, franchement, ça casse pas trois pattes à un Daffy Duck. Non, fort heureusement pour Eldrid, ses résultats scolaires parlaient d'eux-mêmes. Oh, rien d'exceptionnel, un bon quatorze de moyenne et le tour est joué. Mais ce qui a vraiment joué en sa faveur, c'est sa polyvalence. Alors, au final, elle ne s'en tire pas plus mal. Seulement, au lieu d'être un as en maths et une branque en français, elle est bonne dans les deux – et pêche en économie générale, sa bête noire, genre.
Son choix de maison s'est imposé de lui-même. Boursière, sans spécialité, pas conforme, il lui a paru EVIDENT qu'elle était FAITE pour intégrer la L-team. La team des lambdas. Ceux qui ressemblent à tout le monde, mais qui ne sont comme personne.
Bref, c'est dans ce coin-là qu'on fout tous les paumés qu'on serait pas foutu de mettre ailleurs. En fait, la L-team, c'est la région Centre de Poudlard. Et le centre, c'est là où Eldrid aime jouer. Parce qu'on peut participer à tous les angles du match. Parce que même si on est pas spécial, on n'est pas inutile pour autant.
Et puis, l'concierge lui a dit que c'était la meilleure maison quand elle est arrivée, alors...